Après une pause hier en hommage à Jimmy Carter, la cote américaine s'enfonce dans le rouge ce vendredi, sanctionnant... le trop bon rapport sur l'emploi US, qui limite la marge de manoeuvre de la Fed en matière d'assouplissement monétaire. Le S&P 500 perd 1,53% à 5.827 pts, le Dow Jones 1,46% à 42.011 pts et le Nasdaq 1,90% à 19.109 pts. Sur le Nymex, le baril de brut WTI bondit de 3% à 76,1$. L'once d'or fin gagne 1% à 2.695$. L'indice dollar prend 0,3% face à un panier de devises. Le bitcoin se stabilise vers les 94.000$.
Le rapport mensuel gouvernemental sur la situation de l'emploi aux États-Unis pour décembre 2024 fait ressortir 256.000 créations de postes non-agricoles, dont 223.000 dans le secteur privé, contre des consensus FactSet respectifs de 153.000 et 136.500. Le taux de participation à la force de travail ressort à 62,5%. Le taux de chômage recule quant à lui à 4,1%, contre 4,2% de consensus et 4,2% un mois avant. Le salaire horaire moyen de décembre a comme attendu augmenté de 0,3% d'un mois sur l'autre et de 3,9% sur un an. L'emploi était orienté à la hausse dans les soins de santé, le segment gouvernemental et l'assistance sociale en décembre. Le commerce de détail a créé aussi des emplois, après une perte en novembre.
La variation de l'emploi salarié non agricole total pour octobre a été révisée à la hausse de 7.000, passant de +36.000 à +43.000, et l'évolution de novembre a été révisée à la baisse de 15.000, passant de +227.000 à +212.000. Avec ces révisions, l'emploi en octobre et novembre combinés est inférieur de 8.000 postes à ce qui avait été signalé précédemment.
L'indice préliminaire du sentiment des consommateurs américains de l'Université du Michigan pour le mois de janvier 2025 s'est établi à 73,2, à comparer à un consensus FactSet de 73,3 et à un niveau de 74 un mois avant. L'indice des anticipations d'inflation pour l'année à venir grimpe pour sa part à 3,3% contre 2,8% précédemment.
Sur les marchés obligataires, le rendement du T-Bond à 10 ans demeure tendu à 4,74% avec les craintes d'inflation, contre 4,94% sur le '30 ans' - qui a franchi les 5% un peu plus tôt. Selon l'outil FedWatch du CME Group, les taux de la Fed devraient rester inchangés entre 4,25 et 4,50% le 29 janvier, à l'issue de la prochaine réunion monétaire. Un statu quo est désormais également l'hypothèse la plus probable pour le 19 mars, ainsi que pour le 7 mai (dates des deux réunions suivantes). Le même outil montre que les taux devraient baisser de 25 points de base d'ici la fin de l'année (probabilité de 38,6% contre 26,3% de 'proba' d'une baisse de 50 pb).
Les responsables de la Fed redoublent de prudence, alors que le risque d'inflation persistante grandit. Susan Collins, présidente de la Fed de Boston, a précisé hier que l'incertitude significative concernant les perspectives devait inciter la banque centrale américaine à agir précautionneusement dans ses baisses futures de taux. "Avec une économie qui se porte globalement bien et une politique déjà plus proche d'une position plus neutre, je considère la nature actuelle de l'incertitude comme appelant à une approche progressive et patiente", explique Collins dans le cadre d'un discours pour un événement de sa banque. Elle note que "l'inflation est en baisse significative par rapport à son sommet de 2022", et que les données continuent d'indiquer "une trajectoire progressive, quoique inégale, vers l'objectif de 2%", alors même que le marché du travail reste "globalement sain" et s'est rééquilibré.
Patrick Harker, dirigeant de la Fed de Philadelphie, a lui déclaré qu'il s'attendait toujours à ce que la banque centrale réduise ses taux, ajoutant néanmoins que la trajectoire de cette politique d'assouplissement était assombrie par une considérable incertitude économique. Selon les commentaires du responsable, à l'occasion d'un discours pour la NACD (Association nationale des administrateurs de sociétés) du New Jersey, Harker indique qu'il maintient sa vision d'une poursuite de l'assouplissement monétaire, ajoutant que "la vitesse exacte" dépendra entièrement des données entrantes. Il s'agissait des premières remarques d'Harker depuis la récente réunion FOMC, au terme de laquelle la Fed avait réduit ses taux d'un quart de point, entre 4,25 et 4,50%. Il juge que "les fondements généraux de notre économie restent solides", mais déclare aussi que "nous restons dans une période très instable"... "Dans un monde incertain, la politique doit rester dépendante des données et être la mieux placée pour faire face aux risques à venir", résume Harker.
La gouverneure Michelle Bowman a précisé hier qu'elle aurait pu soutenir une pause monétaire le mois dernier, mais qu'elle avait choisi une baisse comme dernière étape du recalibrage monétaire. La responsable est préoccupée par la stagnation des progrès en matière de réduction de l'inflation. Compte tenu de l'absence de progrès continus dans la réduction de l'inflation et de la vigueur persistante de l'activité économique et du marché du travail, elle aurait donc pu soutenir un statu quo en décembre plutôt que la baisse d'un quart de point décidée. Lors d'un discours à Laguna Beach, en Californie, Bowman a aussi jugé que maintenant que la Fed avait réduit ses taux d'un point de pourcentage depuis septembre, le niveau des taux était plus proche de son estimation neutre. "J'ai soutenu l'action politique de décembre parce que, à mon avis, elle représentait la dernière étape du Comité dans la phase de recalibrage de la politique". Bowman plaide maintenant pour "une approche prudente et progressive".
Thomas Barkin, président de la Banque fédérale de Richmond, a déclaré que la récente hausse des taux d'intérêt à long terme reflétait des primes de risque plus élevées plutôt que des inquiétudes concernant l'inflation. Il a sinon globalement repris hier, lors d'une intervention devant l'association des banquiers de Virginie, ses propos du 3 janvier. Enfin, Jeffrey Schmid, dirigeant de la Fed de Kansas City, a jugé que la banque centrale ne devrait probablement pas parvenir à faire revenir l'inflation sur les 2% avant 2026. Schmid plaide pour une une réduction supplémentaire du bilan de la Fed, et considère que la politique de taux pourrait être proche de ce qu'elle doit être à long terme.
Enfin, Austan Goolsbee, président de la Fed de Chicago, estime que les taux longs élevés ne sont pas tirés par les anticipations d'inflation... Il juge aussi qu'il "ne faut jamais se plaindre de 250.000 créations d'emplois", commentant les chiffres du marché américain du travail du jour. Ce rapport de l'emploi n'est selon lui pas le signe d'une surchauffe. Le marché du travail US apparaît selon Goolsbee "stable vers le plein emploi". Il est par ailleurs faux de dire que la Fed ne ferait pas de progrès du point de vue de l'inflation, d'après les commentaires du responsable ce jour. Enfin, il ne pense pas que le marché du travail (solide) soit une source d'inflation.
Les valeurs
Constellation Energy (+24% !), le groupe énergétique américain de Baltimore, a accepté de racheter le producteur d'électricité Calpine dans le cadre d'une opération d'un montant de 26,6 milliards de dollars. L'opération annoncée par Constellation combine deux des plus grands producteurs d'électricité du pays, alors même que l'engouement actuel autour de l'IA requiert une grande quantité d'énergie. L'accord en cash et en actions comprend la prise en charge de la dette de Calpine, société d'énergie géothermique et de gaz naturel. La demande d'électricité devrait atteindre des niveaux records cette année, selon les données de l'Energy Information Administration. La finalisation est attendue au deuxième semestre 2025. Le deal pourrait ajouter 2 milliards de dollars au flux de trésorerie disponible annuel de Constellation. Ensemble, les deux groupes disposeraient de près de 60 gigawatts de capacité provenant de sources à émissions nulles ou faibles, notamment le nucléaire, le gaz naturel et la géothermie.
Nvidia (-2,9%) a critiqué les nouvelles restrictions à l'exportation de puces qui devraient être annoncées prochainement par l'administration Biden, estimant que la Maison Blanche tente ainsi de saper la nouvelle administration Trump en imposant des règles de dernière minute. Selon Bloomberg, les nouvelles règles qui pourraient être annoncées ce jour créeraient trois niveaux de limitations concernant les puces. Un groupe d'alliés des États-Unis bénéficierait d'un accès total aux semi-conducteurs américains, mais la plupart des pays seraient confrontés à de nouvelles limites, notamment sur la puissance de calcul totale pouvant être attribuée à un pays. Bloomberg note que si cette politique était annoncée, il faudrait attendre moins de deux semaines avant que Donald Trump ne prête serment en tant que successeur de Joe Biden. "Nous encourageons le président Biden à ne pas devancer le nouveau président Trump en adoptant une politique qui ne fera que nuire à l'économie américaine, faire reculer l'Amérique et faire le jeu des adversaires américains", a déclaré Ned Finkle, vice-président de Nvidia pour les affaires gouvernementales, cité par Bloomberg.
Le DG de Nvidia, Jensen Huang, avait déclaré plus tôt cette semaine qu'il était prêt à rencontrer Trump et à proposer son aide. "Je serais ravi d'aller le voir et de le féliciter, et de faire tout ce que nous pouvons pour que cette administration réussisse", avait affirmé Huang dans une interview à Bloomberg Television. S'exprimant lors du CES de Las Vegas cette semaine, Huang avait aussi indiqué qu'il s'attendait à ce que Trump introduise moins de réglementation. "Je pense que c'est une bonne chose", avait glissé le fondateur de Nvidia, selon lequel "en tant qu'industrie, nous voulons aller vite".
TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Co. : +0,8%), le géant taïwanais des puces sous contrat, a affiché des revenus trimestriels au-dessus des attentes, en forte croissance de 39% à plus de 868 milliards de nouveaux dollars de Taïwan, ou 26,3 milliards de dollars américains sur la période d'octobre à décembre. Le groupe dépasse donc facilement le consensus des analystes de la place, qui était de 855 milliards de nouveaux dollars taïwanais. Sur l'ensemble de l'année, la croissance atteint 34%, alors que le groupe tablait sur 30% environ pour la croissance en dollars. TSMC reste donc l'un des grands bénéficiaires du boom actuel de l'intelligence artificielle. Le groupe compte Nvidia et Apple parmi ses clients majeurs.
Tesla (-0,2%) lance une nouvelle version de son Model Y en Chine, avec un extérieur redessiné et des fonctionnalités intérieures améliorées de ce véhicule, qui est le VE le plus vendu du constructeur texan. Le groupe d'Elon Musk mise sur ces modifications pour reprendre des parts de marché locales. Le nouveau VE coûtera 263.500 yuans, environ 36.000$ ou 5,4% de plus que la version chinoise précédente, note l'agence Reuters, sur la base d'informations fournies par le constructeur sur son compte de réseau social Weibo.
Arm Holdings (-3%), la pépite de SoftBank dans les processeurs, étudierait selon Bloomberg une éventuelle acquisition d'Ampere Computing - un designer de semi-conducteurs quant à lui soutenu par Oracle. Alors qu'Ampere étudie ses options stratégiques, le dossier aurait attiré l'attention d'Arm, d'après des sources de Bloomberg familières de la question. Les discussions pourraient encore échouer, et il est aussi possible qu'Ampere termine racheté par un autre groupe. Ampere, qui conçoit des semi-conducteurs pour centres de données utilisant la technologie d'Arm, était évalué à 8 milliards de dollars dans le cadre d'un investissement minoritaire proposé par le groupe japonais SoftBank en 2021. Bloomberg n'a pas été en mesure cependant de savoir de quelle valorisation SoftBank, Arm et Ampere discuteraient actuellement.
Capri (+7%) reste entouré à Wall Street, sur des spéculations relatives aux éventuelles cessions d'actifs du groupe américain de mode. Le groupe italien Prada compterait parmi les prétendants potentiels au rachat de Versace, marque que Capri a mise en vente. C'est du moins ce que croit savoir le quotidien 'Il Sole 24 ore' ce jour. Rappelons qu'en fin d'année dernière, Tapestry, le propriétaire de Coach, avait abandonné sa tentative de rachat de Capri, propriétaire également de Michael Kors. Reuters indique que Capri avait ensuite engagé Barclays pour étudier ses alternatives stratégiques, comprenant les possibles ventes de Versace ou Jimmy Choo. L'agence cite à ce sujet deux sources proches du sujet.
Delta Air Lines (+11%), la compagnie aérienne américaine, grimpe à Wall Street. Le groupe a publié au titre de son quatrième trimestre fiscal un bénéfice de 843 millions de dollars soit 1,29$ par titre, contre 2,04 milliards de dollars et 3,16$ par titre un an avant. Le bénéfice ajusté par action a été de 1,85$, contre 1,76$ de consensus et en haut de fourchette des dernières estimations de la compagnie. Les revenus ont atteint 15,56 milliards de dollars, contre 14,22 milliards un an plus tôt et 15 milliards de consensus d'analystes. Le groupe a donc dépassé les anticipations, avec la forte demande durant la cruciale saison des fêtes et la baisse des coûts de carburant. Les revenus ajustés annuels ont augmenté de 4,3% à 57 milliards de dollars environ, avec une marge opérationnelle de 10,6% et un free cash flow de 3,4 milliards de dollars. Pour 2025, le management anticipe une poursuite de la forte demande en voyages. Le bpa annuel de l'exercice entamé est attendu à plus de 7,35$ (consensus 6,1$).
Constellation Brands (-12%), le groupe américain spécialiste des boissons alcoolisées, aux marques Modelo, Corona et Mi Campo, a annoncé pour le troisième trimestre fiscal des profits de 616 millions de dollars, 3,39$ par titre, ainsi qu'un bpa ajusté de 3,25$ à comparer à un consensus de brokers de 3,34$. Les revenus trimestriels ont été de 2,64 milliards, alors que les revenus ajustés, à 2,46 milliards de dollars, ont raté le consensus. Le groupe dit tabler désormais, pour l'exercice, sur un bénéfice par action allant de 13,40 à 13,80$. Les ventes annuelles sont attendues désormais en hausse de 2 à 5%, contre 4 à 6% précédemment, compte tenu de l'incertitude sur le retour à la normale des dépenses des consommateurs.
Walgreens Boots Alliance (+26%), la chaîne américaine de pharmacies, bondit à Wall Street. Le groupe a dépassé les attentes de marché au premier trimestre fiscal et livre par ailleurs une solide guidance. Sur le trimestre clos, le groupe de Deerfield a affiché une perte de 265 millions de dollars et 31 cents par titre, mais un bénéfice ajusté par action de 51 cents à comparer à un consensus de 37 cents. Les revenus trimestriels ont totalisé quant à eux 39,46 milliards de dollars, bien au-dessus du consensus qui se situait à 37,1 milliards de dollars. Sur l'exercice, le groupe anticipe un bénéfice par action allant de 1,40 à 1,80$.