Chef de projet basé à Minsk, au Bélarus, Andreï Dorine reconnaît que le secteur jadis florissant de la tech est en crise. En cause, l'exode de milliers d'informaticiens du fait des répressions politiques, et le soutien à l'invasion russe de l'Ukraine.
Sur les "quelque 400 ingénieurs" employés chez Qulix, l'entreprise de développement informatique dans laquelle Andreï travaille, un quart a fui le Bélarus en cinq ans pour s'installer à l'étranger.
"C'est beaucoup !", constate ce responsable de 42 ans, interrogé par l'AFP.
"Nous traversons une crise, nous ne pouvons pas le nier", conclut-il.
Fleuron de l'économie bélarusse, un des rares secteurs libéralisés dans cette économie largement étatique, les hautes technologies ont connu jusqu'en 2020 un boom indéniable, qu'il s'agisse du développement d'apps, de logiciels ou de maintenance.
Symbole de ce succès le "Parc des hautes technologies" de Minsk, surnommé "la Silicon Valley" du Bélarus.
C'est dans cet ensemble de bâtiments à l'écart du centre-ville que la messagerie chiffrée Viber et le jeu vidéo à succès "World of Tanks" ont été développés.
Mais la répression qui s'est abattue sur la société bélarusse après la réélection en août 2020 du président Alexandre Loukachenko a poussé ingénieurs et informaticiens, une classe moyenne urbaine dans l'ensemble favorable à l'opposition, à fuir le pays.
- Chute de 45 % -
Le coup de semonce est intervenu en septembre 2020 lorsque la police a fait des descentes dans la société de logiciels PandaDoc, arrêtant plusieurs employés, peu après que le patron du groupe eut annoncé son soutien aux manifestants.
L'invasion russe de l'Ukraine en février 2022 n'a fait qu?accélérer le mouvement d'exode, le Bélarus ayant prêté son territoire à l'armée du Kremlin et subissant du coup aussi les sanctions occidentales adoptées en représailles.
Si le "Parc des hautes technologies" compte encore plus de 1.000 entreprises bénéficiant d'un régime fiscal avantageux, signe des temps "difficiles", le nombre total d'employés a chuté de près de 30% depuis 2022, reconnaît auprès de l'AFP Kirill Zalesski, le vice-président du complexe.
"Ces entreprises emploient (encore) plus de 56.000 personnes", précise-t-il, mais les exportations annuelles en 2023 totalisaient 1,8 milliards de dollars, une chute de quasiment 45% par rapport à 2021 (3,2 milliards).
Il veut pourtant "voir le verre à moitié plein, plutôt qu'à moitié vide", car "l'exode a globalement cessé il y a plus d'un an".
Selon lui, il y aurait même "de nombreux développeurs qui aimeraient revenir".
Selon lui, les entreprises, qui ont perdu des parts de marché en Occident du fait des tensions géopolitiques, ont dû trouver de nouveaux marchés, notamment en Asie.
"Si auparavant les pays occidentaux représentaient 80 à 90% de toutes nos exportations, ce chiffre est aujourd'hui d'environ 60%", relève M. Zalesski, évoquant le chiffre de "10%" pour les pays asiatiques.
- Stabilité régionale -
Stephan Hoffmann, le directeur allemand de la chambre de commerce Europe-Bélarus très implanté dans la tech, n'a pas suivi l'exode, et il veut croire en l'avenir, même si son quotidien est plus "inconfortable" depuis 2022, du fait des sanctions.
Ainsi, à la place des vols directs entre l'Allemagne et Minsk, ce sont de longs trajets de bus vers la Lituanie qu'effectue ce chef d'entreprise de 39 ans.
Autre difficulté: les paiements bancaires.
"C'est de plus en plus cher et ça prend plus de temps", dit-il, les sanctions européennes ayant exclu quatre banques bélarusses du système international Swift.
Il dit avoir aussi "bien sûr" des amis qui ont quitté le Bélarus, mais assure que "ce n'est pas tout blanc ou tout noir".
D'après lui, nombre de Bélarusses exilés et ceux restés au pays "travaillent toujours ensemble" à distance. "Il y a toujours des liens", assure-t-il.
Kirill Zalesski reste "prudent" s'agissant de l'avenir, évoquant, outre la conjoncture mondiale, la nécessité d'une "situation régionale stable".
Comprendre, la fin de la guerre en Ukraine et du conflit russo-occidental.
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