"Traumatisant": Laurent Bourgouin se souvient bien de ce jour de décembre 2009. Un ouvrier est mort dans une explosion qui a eu lieu dans l'enceinte de la centrale électrique EDF de Blenod (Meurthe-et-Moselle); son tractopelle avait heurté un tuyau de gaz enterré.
"Je faisais partie de la commission d'enquête, nous avons compris que l'entreprise sous-traitante qui réalisait les travaux de terrassement ne pouvait pas connaître la présence d'un gazoduc sous terre, car elle travaillait à partir d'un vieux plan papier du site qui n'avait jamais été remis à jour", se souvient celui qui est aujourd'hui PDG d'une startup dont la mission est de "fournir des plans d'usines à jour".
"Lorsque l'engin s'est embourbé, le conducteur a patiné et s'est enfoncé un peu plus, la chenille de l'engin a fini par toucher et percer la canalisation qui passait dessous. L'éventration a libéré du gaz sous pression qui s'est enflammé. S'il avait connu la présence du tuyau, il n'aurait pas agi comme ça" estime M. Bourgouin, 43 ans.
Cet événement a été le déclencheur de sa vocation: transformer l'industrie.
Des années plus tard, cet ingénieur et docteur en dynamique des fluides a créé sa startup, Samp (Shared Reality for Industrial Sites), basée à Paris. Il est associé avec Shivani Shah, docteure en intelligence artificielle. Avec leurs services pour les installations industrielles, ils veulent "éviter toutes les mauvaises surprises sur site".
"La moyenne d'âge du système industriel français est de 40 ans, chaque usine a été modifiée plusieurs fois durant son existence, mais les documentations techniques sont rarement à jour", constate Laurent Bourgouin.
Des incidents mineurs dûs à un défaut de robinet sur un tuyau ou à une soudure mal faite peuvent se transformer en accidents majeurs, surtout s'ils ne sont pas répertoriés. "On a des fuites, des incendies, des dérives de process tout le temps dans les usines de ce fait."
- "tsunami" -
Venant de "l'industrie des vannes et des tuyaux", il a construit une recette simple en apparence basée sur un réalité partagée de l'usine, qui part du terrain.
L'image 3D de l'usine, scannée à dos d'homme, révèle chaque tuyau, chaque robinet, chaque valve. Un peu sur le modèle du service de navigation Google street view qui cartographie la terre en permanence.
Cette image réelle est ensuite analysée par l'intelligence artificielle qui la compare aux données existantes contenues dans le "plan officiel" de l'usine. Elle détecte alors tout ce qui ne correspond pas.
"Ce qui fait qu'une équipe technique qui doit réparer un robinet a immédiatement la bonne information, peut préparer son intervention, supprimer des déplacements inutiles, aller plus vite, réduire les coûts", dit-il à l'AFP.
Auparavant, certains projets de modernisation d'usine ont parfois été abandonnés parce que ses schémas de fonctionnement n'étaient pas à jour. "Ca prend souvent plus d'un an de faire l'état des lieux d'une usine pour retrouver toutes les références de pièces utilisées et ça coûte très cher", dit-il. "90% des projets de modernisation sont hors délai et hors budget."
Ses clients s'appellent Suez, pour des centres de tri de déchets, Veolia pour des centres de distribution d'eau ou Terega pour des sites de stockage de gaz. Au total, 200 entreprises, dont des grands noms, lui ont confié leurs plans, qui "nourrissent" son intelligence artificielle et lui apprennent à reconnaître encore mieux valves et tuyaux.
La startup qui emploie aujourd'hui une trentaine de salariés commence à s'internationaliser, en Allemagne, en Italie, et sur des sites de dessalement d'eau de mer en Australie.
"Pour changer une pompe défaillante sur un site opéré à distance, on peut en quelques clics identifier le code de la pompe, au lieu de passer trois à quatre jours à récupérer des informations dispersées dans les archives de l'usine", dit-il. Les techniciens de maintenance ne sont plus des archivistes et les usines évoluent plus vite.
Ca tombe bien. Le verdissement en cours des process industriels est "un énorme tsunami qui va prendre des années", estime Laurent Bourgouin. "Changer les brûleurs d'un four qui doit passer du gaz à l'hydrogène, est un process colossal d'ingéniérie, qui peut prendre jusqu'à deux ans de préparatifs."
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