Croissance atone, déclin démographique, consommation en berne... l'équation économique se complique pour la coalition au pouvoir au Japon, privée de majorité et forcée de composer avec l'opposition, au risque de muscler les dépenses de relance sans réformes d'ampleur, dans un climat d'incertitude inédit.
Le Japon, gouverné pour l'essentiel des 70 dernières années par le Parti libéral-démocrate (PLD, droite conservatrice), était synonyme de stabilité pour les investisseurs.
Mais le PLD et son allié Komeito ont perdu dimanche leur majorité absolue à la chambre basse du Parlement lors d'élections anticipées, laissant les observateurs dans le brouillard sur la politique économique à venir.
Alors que l'archipel connaît depuis deux ans et demi une flambée persistante du coût de la vie sans que les salaires suivent, plombant la consommation et la croissance du PIB (+0,3% attendus en 2024 par le FMI).
"Le Japon entre dans une ère d'instabilité politique, d'amples projets de réformes deviennent improbables" et l'incertitude entourera l'adoption d'un budget supplémentaire cette année, prévient Marcel Thieliant, analyste de Capital Economics.
Le Premier ministre Shigeru Ishiba (PLD), en poste depuis début octobre, promettait de soutenir les ménages, d'accélérer les revalorisations de salaires et de revitaliser les régions rurales, via une dépense publique accrue -dans la foulée des plans de relance de son prédécesseur, restés sans grand effet.
Il entendait aussi contrer le déclin démographique, améliorer la gouvernance des entreprises et agir pour sortir durablement des décennies de déflation structurelle qu'a connu le Japon jusqu'à récemment.
Or, vu "ses résultats électoraux désastreux et sa popularité en berne", le gouvernement "se concentrera probablement sur les mesures soutenant la demande à court terme sans s'attaquer aux problèmes structurels douloureux", avertit Shigeto Nagai, du cabinet Oxford Economics.
-"Montagne de problèmes"-
Pour faire adopter ses textes, le PLD devra s'accorder avec les partis d'opposition: ceux-ci, soucieux de donner des gages à leurs électeurs d'ici au scrutin à la chambre haute l'an prochain, pourraient réclamer des mesures d'aide à la consommation encore plus généreuses.
Potentiel allié stratégique, le Parti démocrate du peuple (PDP, centre) prône des subventions pour réduire les factures d'énergie, mais aussi l'éducation gratuite et le relèvement du plafond du revenu exonéré d'impôt pour les employés à temps partiel -au risque de réduire les recettes fiscales et de gonfler un endettement déjà massif.
Le Parti japonais de l'innovation (libertarien) souhaite, lui, réduire la taxe sur la consommation.
"Mais changer la fiscalité n'a rien d'aisé, il est probable que seules les subventions aux ménages seront envisagées pour l'heure", estime Yuko Iizuka, économiste chez Asset Management One.
Ishiba "défendait la discipline budgétaire", mais "il devra probablement faire des compromis et s'abstenir de discuter de mesures de recettes (fiscales) supplémentaires, pourtant essentielles à terme", abonde Shigeto Nagai.
D'après le quotidien Asahi, Shigeru Ishiba devrait proposer dès novembre un paquet de mesures économiques incluant des propositions du PDP.
Le monde des affaires redoute des tergiversations sur des réformes essentielles.
Vieillissement de la population, pénuries de travailleurs, énergie nucléaire: "une montagne de problèmes cruciaux (...) ont été repoussés", déplore Takeshi Niinami, président de l'organisation patronale Keizai Doyukai, appelant les partis à "affronter la réalité (pour) engager les politiques nécessaires".
-BoJ sous pression-
Reste l'affaiblissement du yen, qui alimente le choc inflationniste en renchérissant les produits importés: la devise est pénalisée par les taux longtemps restés nuls voire négatifs de la Banque du Japon (BoJ), à rebours des grandes banques centrales.
La BoJ a commencé à relever prudemment ses taux par deux fois cette année, mais dans le climat actuel d'incertitude, elle devrait maintenir jeudi le statu quo, avant un prochain relèvement attendu en décembre, selon le consensus d'analystes.
Mais le climat politique pourrait bousculer cette normalisation monétaire.
A rebours de positions antérieures, Shigeru Ishiba juge désormais la conjoncture encore trop fragile et "peu propice" à de nouvelles hausses de taux, auxquelles s'opposent aussi dans l'ensemble les partis d'opposition, pour ne pas pénaliser les emprunteurs, ménages comme entreprises.
La hausse des taux renchérit aussi le service de la dette pour le Japon.
"En vue d'élections à la chambre haute l'an prochain, l'administration Ishiba pourrait se montrer prudente quant au rythme des hausses de taux" pour ménager l'économie et la consommation, estime Shigeto Nagai, pointant "un risque non négligeable" qu'une BoJ sous pression retarde de prochains relèvements.
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