Contraint par la réglementation française, le géant allemand des médias Bertelsmann a finalement choisi la prudence en renonçant pour la seconde fois en un mois à céder le contrôle du groupe français de télévision et de radio M6, dont il devrait conserver la chaîne pour les cinq prochaines années.
Son dirigeant Thomas Rabe a expliqué lundi ce revirement par "les risques légaux et les incertitudes" liés à l'autorisation de la vente de la part des différentes autorités de régulations et de la concurrence.
Suivant une stratégie de repli sur les marchés nationaux, le groupe Bertelsmann cherchait depuis près de deux ans un repreneur pour sa participation de 48,3% dans le groupe M6 (éditeur des chaînes M6, W9, 6ter, Gulli et Paris Première et des radios RTL, RTL2 et Fun Radio), qu'il détient via le groupe RTL.
Il avait d'abord choisi l'alliance avec le groupe Bouygues, propriétaire de la chaîne concurrente TF1, et plaidé pendant des mois pour la création d'un champion français de la télévision capable de s'opposer aux plateformes de streaming (Netflix, Disney ou Amazon).
Mais mi-septembre, face aux réticences de l'Autorité française de la concurrence d'autoriser l'opération, les deux groupes avaient préféré abandonner leur projet.
Depuis, alors que TF1 rebondissait en changeant de patron, il devenait urgent pour l'actionnaire de M6 de lancer un "plan B". L'autorisation de diffusion de la chaîne sur la TNT doit être renouvelée en mai 2023 par le régulateur de l'audiovisuel, l'Arcom, après quoi tout changement de contrôle de la fréquence sera impossible pendant cinq ans, comme le prévoit la loi.
Interrogés par des sénateurs, les présidents de l'Arcom et de l'Autorité de la concurrence n'avaient laissé espérer aucun report de cette date fatidique, en soulignant les délais nécessaires pour évaluer une telle opération.
- Quel avenir pour M6 ? -
Pourtant, "plusieurs offres financièrement attractives" avaient été reçues, a indiqué RTL dans son communiqué, et trois repreneurs avaient déposé jeudi des offres engageantes.
Celle provenant du producteur français Stéphane Courbit (Banijay), allié à Rodolphe Saadé, le patron du géant du transport maritime CMA-CGM, valorisait la participation de Bertelsmann autour de 1,2 milliard d'euros, mais aurait pu faire monter au créneau les producteurs français.
Une autre offre issue du milliardaire Xavier Niel (groupe Iliad), associé pour l'occasion avec la famille Berlusconi (groupe MediaForEurope), avait largement été décriée dans le milieu des médias, l'ex-dirigeant italien étant lié à l'extrême-droite au pouvoir et mêlé au fiasco de la chaîne la Cinq en France dans les années 1990.
La troisième proposition était signée du Tchèque Daniel Kretinsky, propriétaire du groupe de presse CMI France (Elle, Marianne), et également actionnaire du Monde et de TF1. Potentiellement plus simple sur le plan concurrentiel, elle était aussi la moins-disante, selon plusieurs sources.
Quel avenir désormais pour l'ex-"petite chaîne qui monte", lancée en 1987 et aujourd'hui deuxième groupe privé en termes d'audience en France?
Malgré sa décision de conserver sa participation au capital de M6, "RTL Group reste convaincu que la consolidation du marché est nécessaire pour concurrencer les plateformes technologiques mondiales - et que la consolidation du marché se produira tôt ou tard sur les marchés européens de la télévision", a indiqué le groupe.
"Le Groupe M6 jouera un rôle clé dans toute nouvelle consolidation de l'industrie télévisuelle française", a insisté Thomas Rabe.
Mais d'ici là, "M6 va de toute façon devoir se remettre en mouvement", anticipait récemment l'expert des médias Philippe Bailly, interrogé par l'AFP.
Parmi les sujets mis "entre parenthèses" depuis quelques mois, auxquels devra s'atteler l'inusable patron de la chaîne Nicolas de Tavernost, 72 ans: le développement de la production audiovisuelle face à l'essor des concurrents en Europe, le développement du streaming gratuit et l'avenir de la plateforme Salto, lancée avec TF1 et France Télévision.
© 2022 AFP